The Boesch Museum: OTGO RETROSPECTIVE
La cathédrale des Trois Grâces d’OtGO (2014-2024)
Mélanie Grasset
La Baule-Escoublac, France. 2024
OtGO
a le talent de conjuguer le génie de la couleur et la virtuosité du
dessin. Tandis que dans l’art contemporain s’opère le divorce entre
l’un et l’autre, la matière surgit dans cette faille depuis la fameuse
querelle qui anima les artistes peintres de la France, fin du XVIIe
siècle, lorsqu’un Poussin débattait contre un Rubens afin de savoir qui
remporterait la primauté du trait ou du coloris.
Rappelons qu’OtGO vient d’un pays où l’on tient l’écriture/calligraphie
en grande estime. Où le trait se dresse droit comme une colonne
vertébrale et souple comme l’eau de la rivière. Un pays où les couleurs
sont chatoyantes et traduisent dans sa gamme chromatique la plus riche,
toute la profondeur de la vie. Tel est ce peintre venu de Mongolie,
pays du Ciel Bleu avec ces steppes qui s’étendent aussi vastes qu’un
Océan et où demeure l’esprit du bouddhisme.
La cathédrale des Trois Grâces est une œuvre remarquable qui surgit
comme au croisement de l’Orient et de l’Occident. Cette œuvre se
compose de trois panneaux, inspirée par sa première visite de la
cathédrale de Strasbourg en 2014. L’artiste OtGo découvre la
magnificence de l’architecture de cet édifice religieux et
l’éblouissement de ses vitraux. C’est alors une révélation.
Certes, l’art des vitraux a inspiré bon nombre de nos artistes
contemporains : Marc Chagall à la chapelle de la cathédrale de Reims
restituant dans son style quelques épisodes bibliques ou Pierre
Soulages inscrivant ses vitraux minimalistes dans l’édifice de Conques
en résonnance avec la sobriété des cisterciens. Rappelons, la naissance
des vitraux : le vitrail est créé au Moyen-Âge afin de faire rentrer
la lumière dans ces édifices de pierres. Au XIIe siècle, l’abbé Suger
souhaite que les vitraux puissent incarner le divin, puisque Dieu est
Lumière. La lumière traversant la polychromie des vitraux est
l’expression de la puissance spirituelle. Gutenberg n’a pas encore
inventé l’imprimerie. Les vitraux sont comme un livre d’images
racontant les épisodes bibliques à tout ce peuple qui ne sait lire. Si
le gothique déploie la lumière de Dieu dans ses objets liturgiques et
dans ses vitraux sous l’influence de l’abbé Suger, d’autres vont s’y
opposer comme Bernard de Clairvaux qui s’insurge devant ce faste et
prônera l’austérité.
Loin des querelles esthétiques et religieuses, OtGO invente sa propre
grammaire liturgique, inspiré par sa connaissance de l’art des
cathédrales et la culture mongole dans une originalité qui lui
appartient. OtGO reprend dans un rythme ternaire tel un chandmani erdene (joyau qui exauce les voeux),
le trésor de l’histoire de l’humanité quand tout était Un. Quand
l’Homme et la Nature vivaient en harmonie. Nous y retrouvons le zèbre,
cet équidé qui ne vit pas en Mongolie mais auquel il voue une réelle
considération en raison de sa liberté. Effectivement, le zèbre ne peut
se réduire à une quelconque domestication. Si l’on peut retrouver
le lion dans un numéro de cirque nul ne peut se targuer d’avoir pu
dompter un zèbre. D’autre part, renforçant l’idée de sa liberté,
l’identité singulière du zèbre se signe avec sa robe zébrée qui lui
appartient proprement telle une empreinte digitale. Dans ce grand
panorama de la Cathédrale des Trois Grâces, nous retrouvons la pieuvre
qui est un animal très présent dans sa faune fantasmagorique, la
pieuvre, animal de la métamorphose, signifiant le changement
positif ou négatif en fonction du contexte des œuvres d’OtGO. Le
singe revêt plusieurs lectures, il est le début de l’humanité,
entendons cela comme nous le comprenons dans notre culture mais aussi
avec le bouddhisme qui conçoit le singe comme le signe de la sagesse et
du détachement. C’est également l’animal totem d’OtGO qui peint
volontiers le singe dans ses œuvres.
Et, si ce triptyque de < La Cathédrale des Trois Grâces > n’était
pas la nostalgie d’un paradis perdu mais la vision d’un monde à venir
où la puissance vitale recommencerait à s’étendre dans le monde entre
les êtres vivants, la confiance dans ce que le futur peut détenir de
meilleur, prendre le parti de la joie car « Les démons sont vaincus,
les dieux sont vainqueurs » tel serait l’état d’esprit.
“тооно” (toono) - Detailed view
Sous l’ogive, le vitrail ne se lit pas de bas en haut et de gauche à
droite comme dans une église occidentale. Nous entrons entièrement dans
l’espace de ce triptyque, c’est avant tout une affaire physique faite
de sensations. L’espace de la cathédrale des Trois Grâces est
virtuelle. La vision est holistique et nous happe par des effets
d’optique avant que notre œil s’arrête sur un détail et suit le
mouvement de tout ce qui compose le tableau et la lecture se renouvelle
à chaque regard car les œuvres d’OtGO sont foisonnantes de vie. La
Lumière semble jaillir derrière la toile et l’on ne croit pas si bien
dire. Car enfin regardez, les rosaces qui surplombent dans ce
triptyque, cet oculus rappelle la structure du toit de la “гэр” (yourte
en français) en forme de roue que l’on appelle le “тооно” (toono) et
qui représente le lieu médian entre le cosmos et l’espace clos privé
de la yourte.
Rappelons, la légende de Dame Alun Goa à ce propos. Dame Alun Goa,
l’aïeul de Gengis Khan, se retrouva veuve avec ses deux fils mais
cependant donna naissance à trois autres garçons. Ces naissances
miraculeuses interrogèrent les deux aînés :
- « Mère, comment se fait-il que nous ayons des frères ?
-Mes enfants, il arrive qu’un rayon de lune traverse la voûte de la
yourte, caresse mon ventre et s’enfuit au petit matin sous la forme
d’un chien jaune »
Elle s’offusqua que ces fils puissent douter de la naissance divine de ces trois garçons, futurs conquérants du monde.
Le principe de l’histoire de Dame Alun Goa justifie alors l’ascendance divine de Gengis Khan.
Revenons aux animaux, si la faune est si abondante dans les œuvres
d’OtGO, c’est en raison d’une part de l’engagement de cet artiste bien
ancré dans son époque pour l’environnement mais aussi parce que la
littérature et les arts mongols fourmillent de fables animalières ou de
contes totémiques qui ont essaimé en Mongolie depuis la nuit des temps
par les routes de la Soie, les pèlerinages bouddhiques et la voix des
bardes mongols.
Le triptyque offre une vision où l’harmonie et la puissance nous
enchante à l’instar de la personnalité humaniste de l’artiste. L’art
n’est pas pour lui un simple moyen d’expression. C’est une éthique,
c’est l’art d’habiter en poète et de déployer tel un mandala, une
source d’énergie intense.
A l’heure, où l’histoire de l’art s’inscrit pauvrement dans un
leitmotiv d’épisodes scandaleux ou destructeurs. Nous retrouvons dans
les œuvres d’OtGO du sacré.
The Boesch Museum: OTGO RETROSPECTIVE
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